Refonte et mise-à-jour d’un ancien portrait de 2006, publié sur Forumopera.com
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Refonte et mise-à-jour d’un ancien portrait de 2006, publié sur Forumopera.com
Portrait publié sur Forum Opera.
Article publié sur Forum Opéra.
Portrait publié sur Forum Opera.
Maria Laura Martorana, ce nom ne parle qu’aux amateurs de musique baroque italienne les plus acharnés à découvrir des œuvres rares du XVIIIème siècle, et si je dis acharné, c’est que la dame s’est souvent produite accompagnée d’orchestres d’excellence régionale pour ne pas dire de seconde zone et entourée de chanteurs qui croient pouvoir débuter aisément une carrière en couinant des rôles virtuoses où ils ne souffrent d’aucune comparaison… puisque l’opéra n’a jamais été rejoué depuis sa création. La découverte de cette chanteuse est donc semée d’embuches. Mais avant de continuer, écoutez là :
C’est Clément qui m’avait fait découvrir cet air à la terrasse d’un café; lui avait eu le courage de passer les 30 premières minutes de l’enregistrement pirate de mauvaise qualité, quand je vous dis que c’est une chanteuse qui se mérite. Alors oui l’orchestre est un peu laborieux, et on se demande d’entrée si on ira au-delà de la première partie de l’aria. Mais cette onde des violons typique de Porpora, et l’allant de cette voix retiennent : la récompense pour les amateurs de sensation fortes vient dans le dacapo avec ses aigus aussi puissants que stratosphériques.
Le charme de cette voix ne vient pas de sa pureté comme c’est souvent le cas pour les sopranos coloratures : ici l’aigu est puissant, affirmé, percutant mais pas toujours très propre, et souvent très strident, sans compter un vibratello très audible. Ces excès de vaillance vocale pas toujours très harmonieux pourront en gêner plus d’un : mais cette témérité n’ignore pas les graves et la technique est loin d’être hasardeuse, elle a même a parfois de ces curiosités délicieuses qui la rapprochent d’Ewa Malas-Godlewska. J’ai toujours eu beaucoup d’attachement pour ces chanteurs qui n’escamotent pas les difficultés et affrontent la partition avec la même détermination que le personnage son destin. Maria Laura Martonara a cette tension quasi martiale dans la voix qui fait toujours craindre pour l’issue du combat et rend fascinant son triomphe. Revers de la médaille, dans les airs alanguis ou élégiaques, le charme opère beaucoup moins, et lorsque la voix fatigue on entend davantage le medium ingrat. Alors bienvenue dans le monde métallique des opéras baroques interprétés sur instruments modernes, à des diapasons masochistes, vous n’entrez pas ici pour vous relaxer. J’appelle de tous mes vœux un directeur d’opéra ou un grand chef d’orchestre à lui permettre de chanter ailleurs qu’en Italie et avec des orchestres plus à la hauteur de son talent.
Coté discographie: on pourra commencer par le beau Il Mondo alla rovescia de Salieri où elle reprend notamment le grand air de Semele dans l’Europa Riconosciuta (mais en plus difficile!!) et bénéficie d’une vraie direction baroque avec Sardelli à la baguette. Ensuite I Guiochi d’Agrigento de Paisiello la trouve très en forme et investie avec deux grands airs qui mêlent emportements dramatiques et vocalises tantôt échevelées tantôt piquées qu’elle exécute avec aplomb impressionnant. Lo sposo di tre e il marito di nessuno n’et pas une partition très intéressante mais son premier air vaut le détour. L’Achille in Sciro de Sarro bénéficie d’un orchestre plus idoine dirigé par Sardelli encore mais ses airs sont moins intéressants que dans l’I guiochi et l’excitation doit souvent attendre le da capo. Dans la Proserpine de Paisiello, elle chante dans un français compréhensible (sauf hors du medium) une belle Cérés dont la fureur manque de soutien à l’orchestre mais qui ne demande qu’à épancher ses accents angoissés et rageurs. On évitera son récital de cantates de Porpora qui est à peu près ce qui lui convient le moins, beaucoup de morceaux élégiaques et très centraux accompagnée par un orchestre chétif; idem pour l’Ottone in villa de Vivaldi où elle chante la séductrice Cleonilla alors que les tourments de Caio ou Tullia lui auraient mieux convenu, et puis l’orchestre est bien sage. On trouve aussi une Flûte enchantée en italien où elle chante la première dame.
Et pour les amateurs de Waldo de Los Rios
Gloire soit rendue au label CPO qui, non content de publier presque uniquement des œuvres rarissimes, permet parfois de révéler des chanteurs qui restent incompréhensiblement confinés en Allemagne. C’est le cas de Romelia Lichtenstein, chanteuse bulgare habituée du festival Handel de Halle, dont le génie explosa dans le Giob de Dittersdorf dirigé par Hermann Max. Une fois de plus, c’est n’est pas une voix d’hédoniste, mais j’ai un faible pour ces voix au premier abord ingrates que transcende l’art du chanteur (le paradigme de ce genre de voix étant sans doute Maria Callas). Et dans le cas de Romelia, force est de reconnaitre que l’émission semble impure et que le medium sone désagréablement. Ce n’est donc pas un hasard si son plus beau rôle est celui de Zara, la femme de Giob, celle qui n’a pas la foi, dont l’aigreur la rive au sol, or tout dans sa voix signale l’angoisse de cette humilité, ici déguisée du cynisme de la vocalise. J’aimerai beaucoup l’entendre en salle pour savoir si l’impact est le même qu’au disque, si la résonance des aigus triomphe autant.
Là où elle me plait moins, c’est conséquemment dans les épanchements languissants ou les douces mélodies : on peut l’entendre dans Casta Diva ou Lucia sur son site, mais cela ne me convainc pas : ce n’est pas une question de tessiture car elle possède clairement une étendue impressionnante dans le grave comme dans l’aigu, ni une question de technique (si toutes les Lucia de province pouvaient avoir cette tenue…), mais bien une question de timbre et de tempérament, elle n’est pas crédible en jeune vierge, c’est une voix qui en sait trop, déjà arrachée à l’innocence, vieille bien qu’en pleine santé. Idem pour son ange Raphaël dans Il Ritorno di Tobia de Haydn, le phrasé est souverain mais les vocalises n’inspirent pas l’espérance, et l’ange semble être privé d’ailes.
Coté discographie, on ne trouve plus son Tolomeo où elle chantait Elisa, on doit donc se contenter du DVD d’Admeto et du superbe Giob de Dittersdorf.
Reprise et mise à jour d’un article publié en 2006.
Anna Bonitatibus est pour moi une des plus grandes mezzo baroques qui mériterait autant de reconnaissance qu’une Bartoli: sa tessiture est plus large, son enthousiasme identique, sa technique aussi affûtée et sa curiosité constante comme le prouve son dernier disque. Le petit plus de Sainte Bonita, c’est sa noblesse d’expression: Sainte Cecilia est très plébéienne dans ses élans d’affection (et c’est ce qui la rend attachante), tandis qu’ici le port de tête est vraiment royal sans pour autant perdre en chaleur. Je suis aussi très touché par son léger vibratello dans les aigus, encore ma perversion pour les stridences qui tendent la ligne sans jamais la rompre.
Cet extrait est assez emblématique: un talent sans pareil pour faire entendre des tubes d’une autre oreille, une voix rigoureuse et sachant néanmoins très bien vocaliser sur de grandes étendues et surtout une densité expressive peu commune qui sait très bien se passer des vocalises et qui fait tout son charme dans le répertoire du XVIIème par exemple.
Alors je ne comprends toujours pas pourquoi, elle reste assez rare sur scène en France, et pourquoi elle n’y est invitée que par les chefs d’orchestre et pas par les directeurs d’opéra. Ces dix dernières années, Pido lui donnait Cherubino et Zerlina (franchement sous-employée), Minkowski Niclkausse et Il Piacere, Christie Ottavia et Didone (Cavalli), Curtis une Elisa (Handel), une petite messe solennelle en passant et je crois que c’est tout, alors que Munich, Lausanne ou Vienne l’invitent régulièrement. Personne pour lui proposer de donner son nouveau récital en concert, pour lui faire chanter ne serait-ce que du Rossini (même une Cenerentola ou une Italiana, voire un Barbiere!)? Donc 8 ans après mon premier article, je me réemploie à souligner tout son talent.
Coté actualité, elle reprendra la production triomphale de l’Orfeo de Monteverdi par David Bösch l’été prochain à Munich, et abordera entre temps Tancredi de Rossini avec Dantone à Lausanne et L’Italienne in Alger à Vienne.
Ottavio Dantone fut l’un des premiers chefs à lui donner des rôles à sa mesure, à commencer par ce stupéfiant Licida qui permit aussi de révéler quel compositeur magistral d’opéra Pergolesi fut. Tous ses airs sont mémorables, que ce soit par leur virtuosité échevelée avec des écarts terrifiants ou par leur douce mélancolie (mon “Mentre dormi” favori), le tout servi dans un italien forcément aristocratique.
On ne change pas une équipe qui gagne: cette fois-ci Dantone lui confie un petit rôle dans ce délicieux opéra pastoral de Pergolesi, et décide de booster son air principal à sa mesure. On obtient ainsi une sorte d’archétype d’air belliqueux, si fulminant qu’il en effraie presque sa monture!
Ici encore, un compositeur dont on ne joue qu’une seule et même oeuvre alors qu’il y a tant de merveilles qui restent cachées. Cimarosa ayant sacrifié Licida au profit de Megacle et de sa compagne dans son adaptation du livret de Metastase, Bonitatibus y chante Megacle (crée par le castrat Marchesi). La couleur du timbre souffre parfois des écarts surhumains que Cimarosa a écrit (faut bien chipoter), mais alors qui saura se lancer dans le plus difficile “Superbo di me stesso” que je connaisse avec autant de panache et de témérité?! D’autant que Marcon est à la baguette et que Ciofi lui donne la réplique (à Bonitatibus, pas à la baguette! oui je sais c’est pas drôle), ce qui nous vaut un duo final époustouflant (et dont les vocalises ressemblent étrangement à celles du duo Aspasie-Sifare dans le Mitridate de Mozart).
Même avec un son franchement pourri, l’effet est bœuf… et non ce n’est pas une référence à la mise-en-scène.
Marc Minkowski est aussi un chef qui l’invite régulièrement. Ici à Zürich en 2005 aux cotés de Bartoli, elle chante Sesto de façon poignante ni trop adolescente ni trop testostéronnée. Toute la noblesse du fils torturé de Pompeo s’illustre ici dans la difficulté qu’elle semble avoir à rester dans le registre grave. Elle reprendra le rôle avec René Jacobs en 2008, mais sa direction semble la mettre moins à l’aise.
Alors même qu’elle n’était pas au top de sa forme ce soir là (comparez son “Come nube” avec celui de l’Agrippina de Zurich deux ans plus tard), sa prestation reste d’anthologie. J’avais fait une critique complète du concert ici. Le long silence entre la fin du “Lascia la spina” et les applaudissements est du à la main bienveillante de Minko qui imposa au public de refréner son contentement.
Qui n’a pas marre d’entendre cette cavatine de Rosine? Eh bien cette vidéo m’a fait retrouver du plaisir à cet air, c’est chanté avec tant de puissance, de raffinement et de verve que l’on est très loin des espiègles de commande ou des viragos enrubannées.
Comme pour sa Rosina, elle décape le rôle, mais ici la mariée est presque trop aristocratique et brillante pour être crédible en timide et humble Cendrillon, donc une Angelina plus impressionnante qu’attendrissante.
Hors de son répertoire habituel mais épaulée par un maître (Diego Fasolis), elle se révèle étonnante dans cette partition habituellement dévolue à des mezzos que Wagner titille. On y gagne une clarté d’élocution précieuse dans ces mots lourds de sens, et toute la tension expressive que les baroqueux peuvent apporter à ce répertoire, sans pour autant céder en ampleur.
Ce rôle flatte sa science des contrastes, son étendue, sa vocalise à toute épreuve et son expression dramatique, tout juste pourrait-on lui reprocher un manque de liquidité dans certains passage. J’aime toujours autant la direction de Bolton dans Mozart, mais hélas son entourage est souvent dépassé par la partition et vire parfois dans l’expressionnisme hors-style pour compenser.
Tout comme l’autre grande messagère de ce Siècle qu’est Sara Mingardo, elle chante cet air avec une densité émotionnelle qui se traduit par une saturation permanente du son, comme si la stridence des pleureuses donnait son énergie à ce chant. Les passages de contrition, lorsque les pleurs étouffent la voix et l’empêchent de sonner sont suivis de déversements d’autant plus puissants qu’ils étaient retenus. Elle arrive et repart sans grandiloquence et pourtant sa plainte résonne effroyablement.
Pour commencer son dernier disque consacré au personnage de Semiramide de Caldara à Rossini est évidemment immanquable. Elle a écumé les bibliothèques d’Europe à la recherche d’opéras oubliés portant sur cette reine qui a fasciné plus d’un compositeur, et qui convient bien sur parfaitement à son tempérament. Le disque est splendidement documenté et vous fera découvrir des compositeurs rares des 18 et 19ème siècles comme Bernasconi ou Nasolini, ainsi qu’une version inédite du célèbre “Bel raggio lusinghier” de Rossini. On regrettera simplement un orchestre manquant un peu de pulpe mais pas d’allant, et une usure de la voix qui commence à poindre par le vibrato dans les moments les plus exigeants ou dans des raideurs sur les aigus. N’empêche que l’air pastoral de Traetta vous trottera longuement en tête, celui de Bernasconi est un des plus beaux exemples de lamentation délicieusement mélodique, les airs du tournant du siècle ne s’éclipsent pas devant le Rossini (les vocalises de l’air de Nasolini rappellent même celles du duo Rosina-Figaro “Dunque io son” chez Rossini… un an plus tard) et illustrent les échanges d’influence entre la France et l’Italie (Catel, Meyerbeer et Garcia). Seule déception, l’air de Handel/Vinci prit de façon étonnement lente et pesante. Ses deux autres récitals consacrés aux mélodies de Rossini et aux arias de Haydn sont aussi très recommandables même si leurs programmes sont plus habituels.
Pour les intégrales, le Tolomeo de Handel est un must de toute discothèque baroque: l’oeuvre est une collection d’airs champêtres ou désespérés du meilleur Handel, et tous les chanteurs sont d’une telle excellence qu’on en oublie complètement la pesanteur de l’orchestre.
Hélas la Deidamia du même compositeur n’a pas eu cette chance, mais ce que Bonitatibus fait d’Ulysse reste stupéfiant.
Je n’ai pas adoré son interprétation dans la très belle Andromeda liberata, car je trouve le rôle vraiment trop grave pour elle (il y faut un vrai contralto: Mijanovic au concert y était suprême); je ne goûte vraiment pas la musique de Mayr et sa Ginevra ne fait pas exception. Quand aux Orazi e Curiazi de Cimarosa, elle est hélas trop mal entourée pour que le disque vaille le coup.
Pour les DVD, sa Didone de Cavalli est à recommander à qui n’a pas peur des mise-en-scène contemplatives et des orchestres réduits à leur plus simple expression, elle y est évidemment souveraine. Tout comme dans L’Incoronazione di Poppea qui souffre des mêmes options d’interprétation à mon goût. A l’inverse, l’Ercole Amante est une oeuvre moins séduisante de Cavalli, mais mise-en-scène et orchestre rutilent, dommage que son rôle soit si réduit. Enfin je la trouve un peu trop noble pour jouer Dorabella, cela tient sans doute aussi à l’orchestre très martial, et bien sur c’est loin d’être indigne mais dès son “Smanie implacabile”, on y croit tellement que l’on ne sent pas l’exagération comique.
De ses premiers disques on retiendra surtout le joli Lettere amorose de Scarlatti: Curtis est bien meilleur dans ces morceaux assez courts que dans les grands opera seria dont il est souvent incapable de soutenir le dramatisme, l’orchestre reste cependant assez pauvre en harmonique. Les pièces pour clavecin sont splendides, Ciofi ferait pleurer les pierres et notre Bonita est toujours aussi dramatique, mordante, pertinente et émouvante: en un mot c’est boulversifiant! Les duetto d’ Ottavia restituta al trono et de Tolomeo e Alessandro sont à la hauteur de ce que les deux dames font dans L’Olimpiade de Cimarosa. Le Tamerlano (sorti également) en DVD ne vaut que pour son Irene dont elle ne fait qu’une bouchée mais double. On trouve aussi sur youtube des extraits de son Asteria dans le même opéra en tout début de carrière alors qu’elle était soprano, mais cette voix manquait clairement de naturel (et l’orchestre est assez épais). Pour la même raison je déconseille la Griselda de Vivaldi où elle chante Roberto.
Son site web: http://www.annabonitatibus.com avec sa discographie complète.
Son compte twitter: @AnnaBonitatibus
Reprise et mise à jour d’un article paru en 2008 ici (discographie) et ici (les live). Je fusionne ces deux articles, pour tenter d’embrasser la carrière de la dame, ce qui n’est pas simple.
C’est sans doute la plus grande soprano baroque vivante, de Monteverdi à Haydn, rien ne lui résiste: son timbre est pourtant assez diaphane, voir un peu mince et lisse, et ce qui rend sa voix unique c’est bien son sens inouï de la coloration, des aigus fulgurants qui planent de façon immédiatement reconnaissable, une virtuosité à tout épreuve, un grave qui s’est affirmé avec le temps sans aucun poitrinage disgracieux et surtout une délicatesse dans le phrasé, des accents poignants, un art de dynamiser le verbe par l’esprit qui n’appartient qu’à elle. En concert cette attitude sereine, ce geste posé, élégant et néanmoins percutant la subliment davantage encore. Si l’on ajoute que la discographie de la dame est immense, on s’étonne que son talent soit si rare sur nos scènes françaises et qu’elle demeure si peu connue du grand public, alors qu’elle est un vrai mythe pour la plupart des baroqueux. Pour lui chercher des défauts, on peut dire que son français et son allemand sont vraiment exotiques et qu’avec les années, le medium grisonne et mets plus de temps à se chauffer, ce qui ternit un peu le début de ses prestations récentes.
L’ambition de cet article est de recenser l’exhaustivité des témoignages sonores la concernant aussi bien les disques (dans ce cas un lien vers amazon.fr le signale) que les live captés par la radio (signalés par le lieu et la date du concert). Ne serait-ce que pour la discographie cela n’avait jamais été fait à ma connaissance. Je ne commente que le peu de disques que j’ai pu écouté soigneusement (et parfois des amis blogueurs prennent le relai) et les commentaires extérieurs sont naturellement les bienvenus. Comme d’habitude, je graisse ce qu’il me semble prioritaire d’écouter pour découvrir ses qualités.
– La Lucrezia & autres cantates – Retablo barocco
– Floridante – Curtis
– Te Deum & Dixit dominus – Fasolis
– Il Trionfo del Tempo e del Disinganno (Belleza) – deMarchi & Antonini (Cracovie 2013)
– Il Trionfo del Tempo e del Disinganno (Piacere) – Spering
Une splendeur incomparable, le “Lascia la spina”, de très beaux airs du Piacere mais le rôle est trop grave pour elle, et le ratage du “Come nembo” est total: problèmes de respiration, vocalises mécaniques et survolées, il n’y aura même pas de da capo. En plus de la tessiture du rôle (que seule un mezzo colorature possède: Ernman, Bartoli, Hallenberg…), je pense qu’elle a du mal à suivre Spering, chef à la baguette parfois trop vive et qui la soutient mal (elle a le même problème dans Il Ritorno di Tobia avec le même chef dont la vitesse la force à survoler certaines vocalises).
– Aci, Galatea e Polifemo – Bonizzoni
Ca c’est indispensable! Invernizzi au firmament aussi bien avec des tubes rafraîchissants comme “Qui l’augel”, même si on peu trouver des trilles plus exacts et moins coincés aujourd’hui, ça pétille comme un diabolo-menthe avec une point d’amertume. Et que dire de cette mort bouleversante.
– Cantates italiennes – Retablo barocco
– & Mozart – Timotheus (Alexander’s Feast) – Harnoncourt
– Rodrigo – Curtis
– & Caldara – Carmelite Vespers – deMarchi
– Agrippina – Curtis (Madrid 2009)
– La Resurezzione – Harnoncourt (Vienne 2011) & Biondi (Cremona 2009)
– Rinaldo – Dantone (Milan 2005 & Cracovie 2009)
Même si elle sait sortir les griffes, je préfère les Armida plus retorses et calibrée avec un grave plus sauvage.
– Terpsichore – Katschner (Potsdam 2005)
– Arias & duets – avec Jaroussky – Immerseel (Lübeck 2010)
– Laudate pueri – Parrott (??)
– Arias – ? (Mantova 2009)
– L’Olimpiade – Alessandrini
Superbo di me stesso! Comme beaucoup c’est avec ce Megacle que je la découvrais; ce premier opéra de l’édition Naïve est une franche réussite. Je n’ai jamais entendu ailleurs qu’avec Alessandrini une telle homogénéité de l’orchestre qui semble constemment nimbé dans la basse continue comme Venise dans la brume, une direction très dix-septiemiste donc d’une douceur parfois torrentielle (Quel destrier, E troppo spietato, Gemo in un punto…). Outre le glorieux Megacle de notre héroïne du jour dont l’italien est un pur rêve, on notera la présence de la superbe et ténébreuse Mingardo en Licida (que je découvrais aussi et à qui je dois d’avoir choisi ce pseudonyme) et de la non moins marquante Prina (encore une découverte avec ce disque qui est décidemment celui de bien des révélations). En plus ce livret est un des plus réussis et connu de Metastase, donc vous ne pouvez pas passer à coté.
– Vespri per l’Assunzione di Maria Vergine – Alessandrini
Un disque indispensable mais pas forcément pour elle: pour les oeuvres absolument, pour Alessandrini aussi, pour Mingardo surtout qui signe les plus beaux Nisi Dominus et Salve Regina de la discographie à mon humble avis, pour Bertagnolli aussi qui chante un très réussi Laudate pueri même si ce n’est pas le meilleur que l’on connaisse. A Invernizzi ne reviennent finalement que des parties d’ensembles qui sonnent comme de luxueuses transitions entre les pièces les plus célèbres. Ses apparitions sont néanmoins remarquables, notemment un superbe Ascende laeta.
– Dixit Dominus (+ 3 psaulmes de Galuppi) – Kopp
SuperGarfield: Ce disque possède l’intérêt d’être un inédit Vivaldien, un troisième Dixit découvert, très beau, très semblable à celui enregistré par Alessandrini chez Naïve. Cependant, Kopp ne semble pas très familier de cette musique, et c’est un peu trop mesuré. L’approche un peu trop lisse pour convaincre pleinement, et le choeur n’est pas très incisif. Les solistes sont très bons, particulièrement Mingardo, Invernizzi et Agnew, très suprenant d’agilité et de phrasé dans le “Dominus a dextris tuis”, réplique quasiment complète de la 1ere section du fameux air “Alma Oppressa” de la Fida Ninfa). Les psaumes de Galuppi sont intéressants également, de vastes dimensions et de facture assez impressionnante (beaucoup d’alternances choeur-solistes au sein d’un même morceau). A connaître pour l’intérêt de l’inédit.
– La Silvia – Bezzina
Une des premières réssurections d’opéra de Vivaldi que l’on doit au pionnier Bezzina: l’oeuvre est agréable et champêtre, mais n’était Invernizzi, on oublierait bien vite ce que l’on entend, l’orchestre assez hésitant ou les autres chanteurs assez éffacés.
– Cantates (I et II) – Concerto vago
Ces deux disques ne sont plus disponibles dans le commerce; je ne connais que le premier volume. Il souffre malheureusement d’un accompagnement extrêmement réduit qui, à force de jouer à fond la carte du madrigal, rend toutes ces pièces rares assez interchangeables. Invernizzi a beau y mettre tout le soin qu’on lui connait, c’est très beau mais guère marquant faut de caractérisation d’ensemble suffisante.
– Gloria & Magnificat – Gubert
– Arias – Bonizzoni
Superbe récital: même si les airs les plus purement virtuoses (Tito Manlio) voient ses vocalises mécanisées et détimbrées (il y a 10 ans elle y aurait été sans égal), les airs plus théâtraux lui vont comme un gant. On regrettera simplement l’accompagnement orchestral très alerte mais un peu maigre (10 musiciens et une grosse réverbération ne suffisent hélas pas dans ce répertoire). N’empêche que des airs splendides qui l’ont vu en difficulté en live, lui réussissent parfaitement ici.
– Ottone in villa – Antonini
Bon on ne va pas se mentir, on aurait préféré qu’elle chanta Caio et non Tullia. Maintenant elle chante quand même un des plus beaux airs de Vivaldi, le splendide “Misero spirto mio” qui fait alterner des phrases éplorées avec des morceaux de vocalises acérées, justement ce qui la met en difficulté aujourd’hui. Le reste du disque est assez décevant, notamment parce que le chef d’orchestre qui excelle dans l’animation de certains airs vifs peine à mettre en lumière la structure générale de l’oeuvre qui sonne très morcelée. Donc on se tournera vers son récital Vivaldi mentionné plus haut pour l’entendre chanter Caio et vers le récital Vivaldi de Kozena pour entendre cet air parfaitement chanté et accompagné.
– Juditha Triumphans – Fasolis
Ce live est devenu pour moi la version de référence de ce chef d’oeuvre de Vivaldi, supplantant l’excellente version deMarchi parue chez Naïve: Fasolis et ses Barochisti sont stupéfiants et ont réussi à renouveler ma perception d’airs que je pensais connaître par cœur, bref idéal et grisant. Tout le plateau est proche de la perfection à commencer par la Juditha ténébreuse de Mingardo, Laurens est étonnante et Custer enthousiasmante. Invernizzi est un Vagaus à la tessiture plus réduite que celle de la toujours vaillante Comparato dans les rôles d’adolescent (disque Naïve) et contrairement à cette dernière n’arrive pas à laisser deviner la moustache juvénile du jeune écuyer, mais elle fait preuve d’une facilité époustouflante dans la virtuosité presque crâneuse, à l’image de l’assurance du jeune homme, et ainsi épaulée par Fasolis, on ne peut qu’applaudir le résultat d’une musicalité qui touche à l’évidence.
– Motets – Bonizzoni (Cracovie)
L’exubérance à fleur de peau de Vivaldi lui va décidément comme un gant: lors de concert elle a chanté Sum in medio tempestatum, O qui caeli et In turbato mare irato. En plus de souligner que ce ne sont pas les plus évidents (diantre!), je ne peux que m’incliner devant son interprétation volcanique qui hisse ce concert au rang de référence; sans compter l’excellent accompagnement de Bonizzoni.
– Ercole sul Termodonte – Biondi (Vienne & Paris 2009)
J’avais vraiment pas adoré: la direction de Biondi est lourde, pleine de maniérismes et déstabilise les chanteurs, voire les couvre. Invernizzi a des airs redoutables à chanter, notamment un “Da due venti il mar turbato” où elle court après l’orchestre, bâcle son canto di sbalzo et sort des aigus vraiment disgracieux. Pour l’entendre dans toute sa gloire dans ce même air, je recommande chaudement son récital Vivaldi.
– La Fida ninfa – Spinosi (Cracovie 2010)
La première Fida ninfa de Spinosi était vraiment prometteuse et touchante, le disque le voyait déjà verser dans l’hystérie, avec cette troisième il malmène encore plus un opéra vénitien qui devrait être un enchantement harmonique permanent et est transformé en concours de vitesse napolitain vidant tous les airs de leur substance. Tout comme dans l’Ercole par Biondi, Invernizzi est constamment bousculée.
– La Senna festeggiante – Bolton (London 2006)
– Tito Manlio – Dantone (Cracovie 2012)
Trop tard hélas, les airs purement virtuoses de Lucio la dépassent et même si elle y met toute son énergie, ces airs de parade ne pardonnent rien. Reste tout de même le très beau “Non ti lusinghe” dans lequel elle en fait presque trop. Sa version de ce même air dans son récital Vivaldi est plus touchante car plus retenue.
– Apparition dans le documentaire Gesualdo. Death for Five Voices de Werner Herzog (1995)
– Apparition dans le documentaire Handel, maitre du baroque de Ulrich Meyszies (2011)
Si vous connaissez un disque non mentionné dans cette liste, n’hésitez pas à le signaler!
Vous n’en avez pas assez? Alors une chaine Youtube pour vous rassasier: Roberta Triumphans.
ATTENTION: forte récompense à qui trouvera des enregistrement de ces concerts:
– Handel, La Partenope – Florio (Paris)
– Handel, Silla – Biondi (2004)
– Handel, Arminio – Curtis (Padova 2000)
– Hasse, Sant’Elena al Calvario – Biondi (Salzburg)
– Handel, Amadigi – Beaune
– Handel , Amadigi – Dantone (Versailles 2014)
– Vivaldi, In Furore – Alessandrini (Paris)
– Pergolesi, L’Olimpiade – Dantone (Beaune)
Inga Kalna, ossia le brasier
Lorsque René Jacobs publia sa vision de Rinaldo au disque, ce n’est pas tant le discutable rôle-titre ou les choix d’interprétations toujours aussi visibles qui m’impressionnèrent le plus, mais son Armida : une actrice dont l’incandescence semblait justifier l’intensité vocale, j’imaginai difficilement qu’elle put simplement parler tant le chant semblait son expression naturelle.
Cet alliage fait toute la puissance d’Inga Kalna, soprano lettone que les baroqueux ont sorti de sa routine dixneuvièmiste à l’opéra de Riga. Routine dans laquelle je trouve d’ailleurs sa voix bien trop tranchante et l’aigu abîmé par le volume, l’ingratitude métallique du timbre n’en ressort que plus. Puisque j’aime utiliser des comparaisons pour décrire une voix, celle qui me vient immédiatement à l’esprit la concernant, c’est un brasier : au repos, c’est une lumière uniforme mais intense, au fort pouvoir de fascination, une ardeur cachée sous la cendre, et l’on sent bien qu’il suffit d’un souffle ou d’une émotion plus emportée pour que la flamme surgisse; on comprends alors l’importance du tisonnier-chef d’orchestre pour ce tempérament, et il n’est finalement pas étonnant que René Jacobs ai rendu possible ses plus belles interprétations. La dame est cependant trop rare en dehors du giron de son protecteur, et il fallait bien un autre excessif comme Marc Minkowski pour lui confier récemment Lucio Cinna à Salzbourg. On ne trouve que trop peu de témoignages de son talent sur Youtube et j’ai du y uploader une grosse moitié des airs présentés ci-dessous. Je vous laisse apprécier ses emportements, ses aigus chauffés à blanc comme des crépitements, et sa façon de ciseler ses vocalises telle une flamme qui s’étiole.
Un Armida dont les aigus sont autant de morsures et les graves, témoins de sa fatale faiblesse.
On devrait lui faire chanter tout Handel, tellement elle y est affûtée.
Tout ses airs valent le détour et pas uniquement pour ces vocalises acérées qu’elle exécute avec un allant stupéfiant. Le reste du disque est par ailleurs très recommandable, un des meilleurs Vivaldi dirigé par un Curtis en grande forme avec des interprêtes de premier choix.
(on remarquera aussi la Susanna débutante alors)
Reconnaissez que ça change des rossignols qu’on y entend d’habitude: on a là une vraie femme israélite et pas une adolescente timide.
Je me souviens avoir été emballé par son interprétation du rôle à Garnier (quelques semaines après ce live de Vienne), j’en avais fait la critique ici, hélas le chef d’orchestre et sa direction épileptique gâchent un peu le plaisir, sauf dans cet air qui justement illustre une lente crise d’épilepsie. Je sais que Minkowski l’a finalement dirigée dans le rôle alors qu’elle remplaçait Harteros malade, mais hélas aucune captation n’existe à ma connaissance.
Bon le point d’orgue à la fin est assez “hors style” comme on dit, mais je n’avais jamais entendu un tel déchaînement dans cet air, sans pour autant dérailler; nul doute que le poison mentionné est assez corrosif et déversé en torrent!
Autant son dernier air dans cet opéra me laisse un peu sur ma faim, autant celui-ci est un modèle de perfection: ces ralentis dans le récitatif initial, comme si Elettra retenait encore ses mots et sa rage, pour finalement verser peu à peu dans la folie après le “piu non resisto”, écoutez sa façon de lancer les “pieta” et de syncoper ses phrases, elle semble haleter avec l’orchestre.
On peut ne pas aimer les déluges orchestrés par Minkowski dans Mozart (moi j’adore!), mais le personnage qui lui fait face n’en est que plus mis en valeur. Ici sa voix est trop violente pour signifier les lendemains qui chantent, et l’on peut préférer des timbres plus doux comme celui d’Yvonne Kenny ou des chanteuses à la ligne plus épurée comme Henriette Bonde-Hansen, mais je trouve que cela introduit directement dans le drame. Je n’ai pas vu la mise-en-scène mais j’espère qu’ils ont joué la dessus, personne ne croit en l’entendant que tout va bien se passer, surtout quand les montées dans l’aigu sont aussi furieuses!
Naumann fait partie des grands compositeurs oubliés du 18ème siècle (son Aci e Galatea est aussi sublime, sorti au disque); Jacobs s’y était brièvement intéressé avec ce concert mais n’a hélas jamais enregistré l’oeuvre, reste donc ce live et dans cet air final, on entend bien, il me semble, la façon dont elle fait crépiter sa voix. C’est la version traduite en allemand et non l’original en suédois qui est ici chanté.
Déjà la qualité du français: chapeau! Dans ce rôle on entend souvent des sopranos qui n’ont pas le bagage technique et le masque sous des enflures stylistiques censés excuser les notes approximatives, comme si la folie autorisait à chanter n’importe comment, alors qu’ici tout les délires sont parfaitement maîtrisés et elle ne s’écarte de sa ligne de chant que temporairement pour l’effet comique avant d’y revenir: la folie se signale dans la musique et non dans le simple jeu. Et bien sur ici la rugosité de son timbre fait merveille.
On se situe ici à la limite de son répertoire, là où le volume nécessaire pour dépasser l’orchestre commence à souligner l’aigreur de ses aigus. Cela dit rien que pour son entrain et l’élan de son chant, je l’aime beaucoup dans cet air et si certains aigus sont ici peu phonogéniques, je suis sûr qu’en salle, leur effet devait être saisissant.
Bon là on a franchit une ligne, et faut aimer les combats à l’acide, mais entre Pendatschenska et elle les affrontements ne manquent pas de dramatisme :o)
Et ben y en a pas, ou si peu. A coté du Rinaldo et du Motezuma cités plus haut, quelques disques de jeunesse produits en Lettonie, et une Flûte enchantée avec Jacobs où elle chante la première dame… qui n’est pas franchement le genre de rôle de prima donna qu’elle mérite.
Son site web http://www.ingakalna.com/ pas à jour mais avec plein d’autres extraits (et non les morceaux entiers hélas) musicaux notamment dans Hindemith, Verdi (le trille final du “Caro nome” est d’une précision délirante), Puccini et Donizetti.
Son répertoire : http://operabase.com/a/Inga_Kalna/7313
© Photo: Julian Laidig
Je vais m’intéresser ici à sa carrière de contre-ténor et non de sopraniste au sein des Petits Chanteurs de Vienne, goûtant peu ce type de voix; je passe donc sous silence l’abondante discographie de cette période (1987-1995) faite de musique sacrée, de lieders, de rôles pour enfant et d’airs d’opéras bidouillés. Ne feront exception à la règle qu’un Demofoonte de Jommelli capté en 1995 qui laissent déjà percevoir les qualité du futur chanteur et ce, deux ans avant qu’il ne décide de se retirer de la scène pour travailler sa voix. A son retour en 2001, la voix est métamorphosée et l’on découvre un contre-ténor qui fera date dans l’histoire de cette technique.
Morceaux choisis
Cencic s’est d’abord fait connaitre en tant que contre-ténor par une série de disques consacrés aux cantates de Caldara, Vivaldi et Domenico Scarlatti. On entends bien ici que ce n’était pas alors un simple débutant, ne serait-ce que par l’ambitus de la voix, il était sans doute l’un des seuls contre-ténor alors à poitriner ses graves avec autant d’élégance. Avec un joli t-shirt qui se fonds bien sur la tapisserie et des collègues très concernées, cela fait une vidéo très bourgeoiso-queer, la marque est lancée! Et ce n’est qu’une des vidéos que vous trouverez sur le DVD qui accompagne le disque.
C’était je crois sa première intégrale au disque et cela n’est pas passé inaperçu, notamment grâce à cet air (le seul de Vivaldi dans ce pasticcio) où il démontre tout ce qu’une voix profonde peut apporter à ces lamenti souvent chasse gardée des contre-ténors sopranos.
A Gênes en 2007, on donnait le Giulio Cesare le plus trépidant que je connaisse: malgré (ou peut-être grâce) le bidouillage de la partition et les instruments modernes, Fasolis dirige cela comme jamais et j’ai déjà dit tout le bien que je pensais de Prina dans le rôle titre. Cencic est plus à sa place ici qu’en Sesto (Lausanne 2008): Tolomeo n’est plus du tout la folle tordue que l’on nous chante souvent, et ce grâce à des graves bien présents et à un sens du style évident qui ne sacrifie rien à la qualité du jeu. Le “Stille amare” importé du Tolomeo confère enfin une vraie mort à ce personnage, Cencic y est aussi planant que palpitant.
A Schwetzingen en 1995, tout jeune sopraniste et peu de temps avant sa pause, Maxou chantait un rôle à un seul air mais pas des moindres: “Non odi consiglio”. Parfaitement accompagné par Bernius dont Jommelli est le compositeur de prédilection, il fait déjà preuve d’un emportement remarquable n’hésitant à poitriner lourdement pour réaliser le canto di sbalzo, les registres graves et aigus sont encore clairement dissociés mais la réalisation est déjà d’une assurance rare pour un sopraniste.
Même si Spinosi semble plus pressé que jamais, fourvoyant Mijanovic dans le rôle titre, c’est la seule occasion d’entendre Cencic dans ce rôle ou brille habituellement Jaroussky. Les deux visions sont d’égal intérêt, tout dépend donc du gout de chacun: si l’on préfère les contre ténors étherés et angéliques on ira voir Phiphi, si l’on est plus porté à une expression plus douloureuse, non moins sublimée mais moins affectée de la souffrance, on ira voir Maxou. Le dernier air le met cependant en sérieuse difficulté.
Des grands Rinaldo contre-ténors, je n’en connais pas… à part Cencic, et peut-être Fagioli bientôt. Ici encore accompagné superbement par Fasolis, il donne le meilleur de lui-même alors que l’on aurait pu craindre que ces airs échevelés le pousse à choisir entre vélocité et couleur.
En live, à la fin d’un autre opéra à pyrotechnie de Handel, Cencic prouve que sa voix tient la route hors des studios.
Discographie
Parmi ses nombreux récitals, j’ai une tendresse particulière pour le second consacré aux cantates de Scarlatti, cela date un peu pour l’accompagnement vraiment maigrichon, mais la voix possède alors des couleurs moirées qu’il a un peu perdu par la suite au profit d’une plus grande virtuosité.
Ensuite il ne faut pas manquer son disque hommage à Hasse: objectif affiché lors de la sortie, vous convaincre que Hasse est rock; c’est en tout cas un récital à la hauteur de ce compositeur injustement négligé alors qu’il était considéré comme l’égal de Handel de son vivant (au point que l’on ne sait plus bien qui des deux a été appelé le “Caro Sassone” en premier); l’accompagnement de Petrou est comme toujours superlatif. Dans la même veine, le récital intitulé Venezia regorge aussi de contrastes et de découvertes.
Chanter du Hasse en short, ça tue!
Dernier récital que je recommande, celui consacré à Handel. Le disque s’intitule Mezzo-soprano, c’est déjà un étendard: il clame haut et fort que la voix de contre-ténor peut-être autre chose que soprano, et que l’on peut être homme et mezzo. A coté d’airs connus qui lui font affronter la mémoire des plus grand(e)s sans rougir, on trouve des airs d’Arianna in Creta ou du Parnasso in Festa, qui sont des raretés car parmi les plus difficiles qu’Handel ait jamais écrits. Par ailleurs, la comparaison entre ce qu’il fait des airs de Serse ici et 10 ans plus tôt (avant son interruption de carrière) est assez instructive sur les années de travail nécessaire pour que ce genre de voix puisse pleinement s’épanouir.
Dans les intégrales: le Faramondo de Handel m’avait fait un choc lors de sa sortie, tirant l’opéra hors de la seconde zone dans lequel les musicologues le rangeaient, ici encore Diego Fasolis n’y était pas pour rien. Autre grande réussite, l’Allessandro de Handel, en tout point parfait et qui confirme le talent de Petrou à la tête de son orchestre Armonia Atenea. En revanche le réçent Tamerlano souligne les difficultés de Minasi à soutenir la tension sur 3 heures, mais l’opéra est sans doute le plus difficile à écouter de Handel hors de la scène, restent Cencic, Gauvin et deSabata qui en font de toute façon la version de référence. N’oublions pas le déjà mentionné Andromeda liberata, superbe pasticcio de Vivaldi et ses amis, une des plus belles réussite du chef Andrea Marcon.
L’Ezio de Gluck est à ce jour la meilleure intégrale d’un opera seria de Gluck, dirigé par un Curtis plus dynamique qu’à l’accoutumé et accompagné par de royales Prina et Hallenberg (ma critique du concert). Il a d’ailleurs enregistré deux fois cet opéra mais la première version le voit mal entouré.
Si vous en voulez plus, son disque Rossini est un pari risqué avec la même ambition. Le trucage du disque permet une performance qui serait certes moins assurée dans une salle de concert et si l’on a les délires vocaux de Horne dans les oreilles on pourra être déçu. Vous aimerez si vous cherchez dans Rossini autre chose que de la pyrotechnie vocale, c’est à dire un style châtié, un traitement de cette musique qui prends conscience de la portée de chaque note loin de toute conception générique et routinière. Sans compter que l’accompagnement d’Hoffstetter est dans la même veine, rappelant tout ce que les baroqueux peuvent apporter à cette musique.
Tout le concert est d’ailleurs très recommandable, de Handel à Offenbach en passant par Donizetti, et des annonces de programmes hautes en couleurs.
Enfin il existe deux DVD de L’Incoronazione di Poppea de Monteverdi: à Madrid il chante Ottone, à Lille Nerone. Il est aussi bon dans les deux rôles mais l’entourage fait clairement pencher pour Lille (on perd Bonitatibus mais on gagne Hallenberg, une mise-en-scène sans excès de carton pâte, un orchestre plus charnu et une Yoncheva en pleine ascension).
Le Sant’Alessio de Landi m’avait ennuyé par sa longueur et son étirement contemplatif, il faut dire que Christie est particulièrement mou là dedans. La mise-en-scène constitue par contre un des plus beaux spectacles de Lazar, et Cencic campe une épouse à la douleur mariale prodigieuse, l’androgynie de sa voix et le débit assez lent de la partition lui permettent de raffiner à l’extrême et, de fait, de porter l’illusion théâtrale à un point rarement atteint dans la musique du XVIIème.
Le Rodrigo de Handel par Lopez-Banzo est bien moins réussi que son Amadigi pour la même maison, et Cencic n’y brille que par un air de tempête certes entraînant mais assez conventionnel au dernier acte (ma critique du concert). Je ne partage pas l’enthousiasme général pour le Farnace de Vivaldi, sans doute est-ce du à la version retenue (la dernière parmi les 3) que je trouve vraiment faite de bric et de broc, et peut-être à la direction (seule fois où j’ai été déçu par Fasolis); son “Gelido in ogni vena” est cependant superbe. Le DVD et le CD de l’Artaserse valent surtout pour l’orchestre et Fagioli, les airs dévolus à Cencic n’étant pas les plus marquants. Il chante à peine dans le mauvais Fernando de Handel.
Enfin citons: ses récitals Vivaldi, Caldara et Scarlatti I récemment réunis, mais moins aboutis que le Scarlatti II et des duetti avec Jaroussky, un peu trop prout-prout pour moi.
Un peu de dix-neuvieme décalé pour conclure: du Strauss et du Offenbach, extension du domaine de la glotte!