Inga Kalna, ossia le brasier
Lorsque René Jacobs publia sa vision de Rinaldo au disque, ce n’est pas tant le discutable rôle-titre ou les choix d’interprétations toujours aussi visibles qui m’impressionnèrent le plus, mais son Armida : une actrice dont l’incandescence semblait justifier l’intensité vocale, j’imaginai difficilement qu’elle put simplement parler tant le chant semblait son expression naturelle.
Cet alliage fait toute la puissance d’Inga Kalna, soprano lettone que les baroqueux ont sorti de sa routine dixneuvièmiste à l’opéra de Riga. Routine dans laquelle je trouve d’ailleurs sa voix bien trop tranchante et l’aigu abîmé par le volume, l’ingratitude métallique du timbre n’en ressort que plus. Puisque j’aime utiliser des comparaisons pour décrire une voix, celle qui me vient immédiatement à l’esprit la concernant, c’est un brasier : au repos, c’est une lumière uniforme mais intense, au fort pouvoir de fascination, une ardeur cachée sous la cendre, et l’on sent bien qu’il suffit d’un souffle ou d’une émotion plus emportée pour que la flamme surgisse; on comprends alors l’importance du tisonnier-chef d’orchestre pour ce tempérament, et il n’est finalement pas étonnant que René Jacobs ai rendu possible ses plus belles interprétations. La dame est cependant trop rare en dehors du giron de son protecteur, et il fallait bien un autre excessif comme Marc Minkowski pour lui confier récemment Lucio Cinna à Salzbourg. On ne trouve que trop peu de témoignages de son talent sur Youtube et j’ai du y uploader une grosse moitié des airs présentés ci-dessous. Je vous laisse apprécier ses emportements, ses aigus chauffés à blanc comme des crépitements, et sa façon de ciseler ses vocalises telle une flamme qui s’étiole.
Morceaux choisis
- Handel, Rinaldo
Un Armida dont les aigus sont autant de morsures et les graves, témoins de sa fatale faiblesse.
- Handel, Radamisto
On devrait lui faire chanter tout Handel, tellement elle y est affûtée.
- Vivaldi, Motezuma
Tout ses airs valent le détour et pas uniquement pour ces vocalises acérées qu’elle exécute avec un allant stupéfiant. Le reste du disque est par ailleurs très recommandable, un des meilleurs Vivaldi dirigé par un Curtis en grande forme avec des interprêtes de premier choix.
- Mozart, Le Nozze di Figaro
(on remarquera aussi la Susanna débutante alors)
- Handel, Samson
Reconnaissez que ça change des rossignols qu’on y entend d’habitude: on a là une vraie femme israélite et pas une adolescente timide.
- Handel, Alcina
Je me souviens avoir été emballé par son interprétation du rôle à Garnier (quelques semaines après ce live de Vienne), j’en avais fait la critique ici, hélas le chef d’orchestre et sa direction épileptique gâchent un peu le plaisir, sauf dans cet air qui justement illustre une lente crise d’épilepsie. Je sais que Minkowski l’a finalement dirigée dans le rôle alors qu’elle remplaçait Harteros malade, mais hélas aucune captation n’existe à ma connaissance.
- Handel, Serse
Bon le point d’orgue à la fin est assez “hors style” comme on dit, mais je n’avais jamais entendu un tel déchaînement dans cet air, sans pour autant dérailler; nul doute que le poison mentionné est assez corrosif et déversé en torrent!
- Mozart, Idomeneo
Autant son dernier air dans cet opéra me laisse un peu sur ma faim, autant celui-ci est un modèle de perfection: ces ralentis dans le récitatif initial, comme si Elettra retenait encore ses mots et sa rage, pour finalement verser peu à peu dans la folie après le “piu non resisto”, écoutez sa façon de lancer les “pieta” et de syncoper ses phrases, elle semble haleter avec l’orchestre.
- Mozart, Lucio Silla
On peut ne pas aimer les déluges orchestrés par Minkowski dans Mozart (moi j’adore!), mais le personnage qui lui fait face n’en est que plus mis en valeur. Ici sa voix est trop violente pour signifier les lendemains qui chantent, et l’on peut préférer des timbres plus doux comme celui d’Yvonne Kenny ou des chanteuses à la ligne plus épurée comme Henriette Bonde-Hansen, mais je trouve que cela introduit directement dans le drame. Je n’ai pas vu la mise-en-scène mais j’espère qu’ils ont joué la dessus, personne ne croit en l’entendant que tout va bien se passer, surtout quand les montées dans l’aigu sont aussi furieuses!
- Naumann, Cora och Alonso
Naumann fait partie des grands compositeurs oubliés du 18ème siècle (son Aci e Galatea est aussi sublime, sorti au disque); Jacobs s’y était brièvement intéressé avec ce concert mais n’a hélas jamais enregistré l’oeuvre, reste donc ce live et dans cet air final, on entend bien, il me semble, la façon dont elle fait crépiter sa voix. C’est la version traduite en allemand et non l’original en suédois qui est ici chanté.
- Rameau, Platée
Déjà la qualité du français: chapeau! Dans ce rôle on entend souvent des sopranos qui n’ont pas le bagage technique et le masque sous des enflures stylistiques censés excuser les notes approximatives, comme si la folie autorisait à chanter n’importe comment, alors qu’ici tout les délires sont parfaitement maîtrisés et elle ne s’écarte de sa ligne de chant que temporairement pour l’effet comique avant d’y revenir: la folie se signale dans la musique et non dans le simple jeu. Et bien sur ici la rugosité de son timbre fait merveille.
- Rossini, Il Turco in Italia
On se situe ici à la limite de son répertoire, là où le volume nécessaire pour dépasser l’orchestre commence à souligner l’aigreur de ses aigus. Cela dit rien que pour son entrain et l’élan de son chant, je l’aime beaucoup dans cet air et si certains aigus sont ici peu phonogéniques, je suis sûr qu’en salle, leur effet devait être saisissant.
- Donizetti, Maria Stuarda
Bon là on a franchit une ligne, et faut aimer les combats à l’acide, mais entre Pendatschenska et elle les affrontements ne manquent pas de dramatisme :o)
Discographie
Et ben y en a pas, ou si peu. A coté du Rinaldo et du Motezuma cités plus haut, quelques disques de jeunesse produits en Lettonie, et une Flûte enchantée avec Jacobs où elle chante la première dame… qui n’est pas franchement le genre de rôle de prima donna qu’elle mérite.
Son site web http://www.ingakalna.com/ pas à jour mais avec plein d’autres extraits (et non les morceaux entiers hélas) musicaux notamment dans Hindemith, Verdi (le trille final du “Caro nome” est d’une précision délirante), Puccini et Donizetti.
Son répertoire : http://operabase.com/a/Inga_Kalna/7313
19 mai, nuit noire
2
Magiciennes
m’enivrent avec l’ambroisie de leur voix distillant Haendel.
L’Américaine Renée Fleming, d’une merveilleuse douceur sublime, incarnant la fée amoureuse Alcina, tour à tour tendre et pure (Di, cor mio, cuanto t’amai) ou maléfique et désespérée (Ah ! mio cor ! schernito sei) et la Léttone Inga Kalna, prêtant ses précieux accents à l’Armida (Ah, crudel) ou à l’Armirena (Lascia ch’io pianga)du Rinaldo, aux sombres palpitations
ensorceleuses.
& aube du 20 mai
LikeLike